Seconde rencontre du cycle "La Transition Energétique en France, une cartographie des enjeux et des controverses."
22 oct. 2013 Paris 16 (France)

Compte rendu

Une initiative de dialogue scientifique sur la transition énergétique : les options d'offre

Le Débat National sur la Transition Energétique (DNTE), moment de la discussion démocratique autour de la transition énergétique, n’a pas permis de faire varier de façon significatives les positions de départ sur la place du nucléaire ou des renouvelables. Même des accords de principe sur par exemple l’objectif de sobriété énergétique cachent de vrais désaccords sur le contenu à lui donner.

Dans ce dossier les controverses scientifiques et techniques s’entremêlent avec des conflits de valeur. Alors que l’enjeu est l’ouverture des futurs, la délibération publique est rendue difficile une mise en scène médiatique de ces controverses et conflits qui rend difficile des échanges contradictoires raisonnés. Les expertises convoquées dans le DNTE ont d’ailleurs été celles, légitimes, de porte-paroles des diverses parties prenantes sans que la recherche publique ait été convoquée. Les sciences de l’ingénieur et les sciences sociales auraient pu, sinon jouer un rôle de ‘juge de paix’, du moins fournir des éléments de connaissance passés au crible des processus de validation interne de la communauté scientifique.

C’est pourquoi le Centre International de Recherche sur l'Environnement et le Développement (CIRED UMR 8568 CNRS/Ponts ParisTech) organise un cycle de journées de dialogue en faisant le pari d’établir une cartographie des enjeux et controverses autour de la transition énergétique et de leur sous-bassement scientifique. Les débats, qui réunissent au siège du CNRS plus de cent participants, tant scientifiques que parties prenantes, visent à faire apparaître des repères pour la décision politique en procédant à un état des lieux argumenté.

Maîtriser la manipulation stratégique des controverses scientifiques implique d'éviter toute application hâtive unilatérale du principe de précaution. L'analyse passe non seulement par un calcul des coûts économiques, mais elle s'étend au delà pour expliciter les changements institutionnels et d’organisation des pouvoirs liés aux options de transition énergétique.

Après une première journée sur les aspects sociaux de la transition, les débats de la seconde journée ont examiné les options d'offre d'énergie en France. Trois options ont été débattues : le recours aux combustibles fossiles, (notamment les gaz de schiste), l’option nucléaire, et l’option « renouvelables » à grande échelle.

Les réflexions sur la fin ou le retour des énergies fossiles ont permis de mettre à plat les éléments du dossier des hydrocarbures de roches-mères. À cause de la surproduction et de la baisse des cours, la rentabilité des puits repose actuellement sur les condensats plus que sur le gaz produit. Le risque de pollution, en particulier de fuite le long des puits, est avéré aux Etats Unis, mais de grands progrès sont possibles pour adopter des normes de protection des nappes phréatiques et les faire appliquer. La transparence sur la composition des fluides d'injection augmente, l'usage de produits toxiques diminue. Quant aux potentiels français et européen, s’il est réel, il est moins certain qu’aux Etats-Unis et sans doute plus cher à valoriser.

Un développement de l’extraction de gaz de schiste en France n’aurait pas des effets de ré-industrialisation aussi spectaculaires que ceux observés aujourd'hui en Amérique. Reste à prendre acte de l’interdiction par la loi en France. L'ignorance des ressources nationales entretenue par l’interdiction d’explorer a un coût d’opportunité pour la société. Mais la méconnaissance des ressources réelles entretenues par l’interdiction d’explorer a sans aucun doute un coût d’opportunité pour la société, les bénéfices ayant des chances d’être supérieurs aux risques résiduels de l’exploration seule.

Concernant le nucléaire, il faut se situer délibérément hors du dilemme éthique conduisant à rejeter le nucléaire comme inacceptable afin de pouvoir débattre de la réalité des risques et les conditions qui le rendraient plus acceptable et préserveraient son économicité. Le risque d’accident nucléaire est-il mesurable après Fukushima ? L’internalisation plus complète des coûts et des risques du nucléaire met-elle en question l’économicité du nucléaire ? La probabilité d’accidents nucléaires estimés à partir des accidents et incidents majeurs passés et dans des contextes de régulation de la sûreté très laxiste (Japon, URSS) doit être estimée à des niveaux bien supérieurs à ce qu’ils étaient avant Fukushima. Ceci doit conduire à observer que la gouvernance du contrôle de la sûreté est le point-clé non seulement de la pérennité du nucléaire en tant que technologie acceptable, mais également de son économicité.

En effet l’apprentissage du nucléaire en matière de sûreté s’est fait à coup d’accidents majeurs qui ont entraîné sa complexification, mais cette complexification atteint une asymptote. De ce fait, les coûts très élevés actuels pour les premiers exemplaires des réacteurs de troisème génération tel l’EPR d’AREVA qui sont liés à cette complexification et au réapprentissage des constructeurs devraient ensuite baisser. Les coûts complets du nouveau nucléaire devraient se situer au niveau des coûts des centrales à gaz et à un niveau plus bas que celui des ENR matures, même avec une prise en compte plus large de ses externalités négatives (gestion des déchets, incertitude sur coûts de démantèlement, assurance).

D’autres conditions d’économicité du nucléaire ont été soulignées : encadrement de nouveaux investissements par des contrats de long terme à prix fixes, qui conduit à une baisse du coût du capital ; stabilité règlementaire ; et bien sûr le renforcement des autorités de sûreté nucléaire dans tous les pays pour limiter un peu plus le risque de nouvel accident qui mettrait de nouveau en cause son acceptabilité. Le nucléaire peut faire partie du bouquet énergétique, mais sans qu’on en fasse la réponse absolue comme autrefois. Pour autant les irréversibilités du nucléaire ont déjà été créées et c’est à elles qu’il faut faire face. Une sortie du nucléaire de certains pays aux bénéfices du tout ENR chez eux ne les défausse pas de la gestion de l’ensemble de leurs déchets, alors même que ce choix ne dissuade en rien les pays émergents d’y renoncer par son exemplarité.

Deux questions de fonds ont porté sur les promesses des énergies renouvelables (ENR). Quelles sont les limites techniques qui contraindraient l’option tout ENR ? Où se situent les limites économiques d’une telle option dans les domaines de la biomasse et des ENR-électriques ? Les contraintes au développement de la ressource bois-énergie, ou celles des biocarburants ont pu être clairement identifiées (épuisement des sols, contraintes économiques pour le premier, concurrence d’usages des cultures alimentaires et usage des sols pour les seconds). Les solutions pour faciliter le développement de la filière bois réside dans une meilleure organisation foresto-industrielle d’un côté et dans le progrès technique avec la mise au point de carburants de 3° génération de l’autre côté.

Dans le domaine des ENR électriques, les croyances de leurs promoteurs empêchent trop souvent une mise à plat sereine des obstacles et des coûts au développement à très grande échelle de ces énergies. Selon eux, on devrait assister à un changement naturel et indolore de paradigme énergétique. Mais les perspectives de substitution complète des ENR aux productions par combustibles fossiles ou nucléaires ne cherchent à prendre en compte ni le coût des politiques de tarifs d’achat élevés, ni ceux de modernisation et renforcement des réseaux électriques qui permettraient ce changement de paradigme, ni les coûts importants de système (rééquilibrage, nouvelles réserves) à partir d’un seuil de 20-30% de capacité intermittente.

Face à l’éventail des options, un problème est l’aménagement des interfaces entre les systèmes nouveaux prometteurs et les systèmes anciens encore efficaces économiquement. Il faudrait se situer dans une perspective permanente d’ouverture des futurs en évitant de créer des irréversibilités comme ont pu le faire en leur temps les promoteurs du nucléaire. Les outils économiques et sociologiques de la décision sous controverses sont ici important pour montrer comment se fixer un cap en se donnant un portefeuille d’options et conduire l’ajustement entre prévention des irréversibilités, soutien aux technologies potentiellement d’avenir et contrôle des coûts si les dépenses s’avèrent trop importantes ou prématurées (voir comment le photovoltaïque a été en fait fragilisé par des ajustements mal maîtrisés).

Pour en savoir plus : Les actes intégraux des exposés et des tables rondes des deux journées de dialogue CNRS sur la transition énergétique sont consultables publiquement < http//transen2.sciencesconf.org >.

Dominique Finon, Jean-Charles Hourcade, Minh HaDuong (CIRED)

8 novembre 2013

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